Stockage et conservation de la bière

De retour du magasin, il vous faudra trouver un endroit pour stocker la bière. Retenons à ce stade que les deux ennemis principaux sont la lumière et la chaleur.

La lumière tout d'abord, joue un rôle important sur l'évolution du goût. Son action stérilisante entraîne à court terme la diminution du nombre de cellules de levure participant à la refermentation de la bière (si c'est le cas). A long terme, les flaveurs sont altérées et l'on voit apparaître un goût caractéristique de "papier mâché".

Moins la bière sera soumise à des flux lumineux, mieux ce sera. Les brasseurs l'ont compris depuis longtemps, eux qui utilisent des bouteilles en verre foncé afin de filtrer au maximum la lumière. Remarquons à cet égard la tendance actuelle pour certains breuvages conditionnés en bouteilles transparentes à long cou (long neck) qui s'oppose donc à cette règle de base. Mais dans ce cas, les considérations de marketing (look du contenant) prennent le pas sur le produit en lui-même.

Les lampes classiques à incandescence semblent représenter moins de danger que les néons et surtout le soleil, dont le spectre lumineux (UV) renforce l'action stérilisante.

La température ensuite influe sur la vitesse à laquelle le goût va évoluer. Maintenir une température constante entre 15 et 25°C est idéal.

Les bouteilles capsulées seront maintenues debout afin d'éviter le contact prolongé du liquide avec la capsule. Les bouteilles bouchonnées et bouchonnées-capsulées (fréquent en Belgique : Cantillon, Brasserie à Vapeur,…) seront maintenus couchées, étiquette vers le haut afin d'en faciliter la lecture. De ce fait, le bouchon imprégné de liquide aura tendance à "gonfler" et maintiendra mieux l'étanchéité. De plus, dans cette position, toute fuite provoquera une légère perte de liquide qui vous avertira sur la nécessité de consommer rapidement la bière mais aura également pour avantage d'empêcher l'air de rentrer dans la bouteille et d'éviter ainsi tout phénomène d'oxydation.

La position couchée favorise également la création d'une plus grande surface de contact entre le liquide et la levure, ce qui augmente la vitesse d'évolution du goût.

Il convient à ce stade de distinguer les bières pasteurisées et les bières "vivantes".

Les premières ont subi un processus d'augmentation de la température jusqu'à plus de 80°C durant quelques minutes afin de tuer les éventuels germes résiduels. Malheureusement, cette température élevée a pour conséquence d'éliminer les cellules de levures qui n'auraient pas été supprimées lors de la filtration. Toute évolution du goût par l'action de la levure (refermentation en bouteille) est donc bannie. De ce fait, une bière pasteurisée n'a aucun avantage à être conservée.

De plus, la pasteurisation possède un grave inconvénient : celui d'atténuer plus ou moins fortement le profil gustatif. A titre d'exemple, je citerai l'histoire de ma visite à la brasserie Heineken à Amsterdam. A la fin du circuit, cette pils nous était offerte dans sa phase précédant la pasteurisation. Nul doute qu'après une telle expérience, il est difficile de revenir à la version classique, tant la différence de fraîcheur entre les produits semble évidente.

Remarquons qu'une technique plus récente, la flash-pasteurisation, consistant en une augmentation très rapide de la température et à une diminution de la durée à laquelle la température est maintenue, a permis de réduire l'impact sur le goût. Le plus souvent, la flash-pasteurisation est effectuée après embouteillage, directement sur le produit fini.

La plupart des bières de grande distribution sont pasteurisées. Ceci permet une grande reproductibilité du goût qui se trouve figé par ce procédé, ce qui est censé accroître la fidélité du consommateur. Il s'agit principalement de bières entièrement filtrées, ce qui semble logique puisque les cellules de levure sont tuées lors de ce processus.

La deuxième solution consiste au contraire à tout faire pour que les cellules de levure puissent continuer à subsister dans la bière. On parle alors de bière refermentée en bouteille, de bière au goût évolutif ou encore de bière sur lie. C'est le cas, par exemple, de la plupart des bières d'abbaye et de l'ensemble des Trappistes. On ajoute alors une petite dose de sucre lors de l'embouteillage afin de fournir les nutriments nécessaires au maintien en vie de la levure. Parfois le sucre est remplacé par du miel, ce qui influe alors sur le goût. Il est également possible que de la levure fraîche soit employée à ce stade, parfois une souche différente de celle qui a été utilisée pour la fermentation principale.

Une telle bière aura donc plus de chance pour affronter les affres du temps. Elle pourra être conservée plusieurs mois, voire plusieurs années.

S'il est vrai que certaines bières bonifient avec le temps (je préfère l'Orval après deux ans de cave), le fait que le goût soit évolutif ne signifie pas qu'il évolue toujours vers quelque chose de meilleur. Ceci est fonction de la bière et également du palais (et de l'expérience) du dégustateur. Et c'est là justement que réside le plaisir : en faisant intervenir le facteur temps, on augmente à l'infini la palette gustative et on peut ainsi multiplier le nombre de dégustations pour une même bière.

Les bières assez alcoolisées ont plus de chance de se conserver longtemps. A l'inverse, les bières fromentacées (weizenbier, blanches belges,…) ne devraient pas être conservées plus de six mois. Mais là encore l'exception confirme la règle, comme le prouve la famille du lambic, dont la version refermentée en bouteille (gueuze) peut se conserver plusieurs dizaines d'années pour les meilleures brasseries.

Le vieillissement prolongé des bières sucrées conduit le plus souvent à l'apparition d'une madérisation de la bière. Des notes de porto et de fruits confits peuvent se développer.

© Emmanuel Gillard - Projet Amertume -